Dorra BASSI

Laboratoire Intersignes(LR14ES01)

FSHST -Université de Tunis

La Faculté des Sciences Humaines et Sociales de  Tunis (FSHST) a accueilli le 29 février t le 1er mars 2024   un grand évènement organisé par le Laboratoire Intersignes(LR14ES01)et l’Ecole Doctorale Structures, Systèmes, Modèles et Pratiques, un évènement appuyé par l’Université de Tunis dans le cadre de son engagement dans la promotion de la recherche autour des Humanités numériques et en marge des activités prévues et en cours dans le projet Raqmyat. Dans l’attente de la publication des actes de ce colloque, nous proposons à chaud cette première lecture qui se veut un bilan provisoire de cette initiative qui vise à faire des Humanités numériques un objet d’étude et un espace de réflexion.

Lors de ces deux journées, la FSHST a réuni des partenaires venant des universités d’Algérie, du Maroc, de France, d’Arabie Saoudite et bien sûr des différents universités tunisiennes représentant plusieurs laboratoires de recherche tunisiens et étrangers. Nous pensons avoir réussi à tenir le défi en faisant du CICNIA un moment de réflexion, l’occasion de découvrir et de partager des pratiques et des expériences et l’opportunité de s’initier et de se former à l’usage de quelques outils.

Le numérique, nouveaux corpus et/ou nouveaux défis

Ni les corpus numériques, ni l’Intelligence artificielle ne sont une innovation en soi, nos intervenants l’ont montré à travers le rappel de projets nés parfois depuis plus de  vingt ans. Le questionnement nouveau se situe principalement sur le plan épistémologique et au niveau méthodologique et éthique. La conférence de Pr. François Rastier qui a interrogé les rapports entre les corpus et l’Intelligence artificielle  était ainsi l’occasion de montrer que l’Intelligence artificielle générative, qui puise ses données  de datasets couverts par le secret industriel, est aux antipodes de ce qu’exige la rigueur scientifique.

Riche d’une longue expérience en tant que créatrice de bases de données littéraires et  lexicographiques et en tant qu’utilisatrice de la base Frantext, Pr. Isabelle Turcan pose la question : l’implicite des discours est-il automatisable ? Dans le cas particulier des corpus diachroniques, la part du non-dit importante à saisir dans une approche comparatiste, serait difficilement déchiffrable par la machine.

La réflexion se poursuit grâce à l’intervention de M. Molay Hassan Soussou qui pose la question de l’avenir des corpus littéraires génétiques. Il démontre   grâce à l’exemple de L’atelier Bovary de l’université de Rouen- Normandie, le rôle de plus en plus important que joue le numérique dans la publication et le déchiffrement non seulement des brouillons de l’auteur mais aussi de tout ce qui se greffe autour du texte flaubertien comme ses traductions en arabe ou la correspondance de l’auteur.

Dans son intervention intitulée : « L’analyse des motifs pour la stylistique (et la linguistique), Pr. Dominique Legallois a présenté une méthode informatique qui permet d’extraire, automatiquement dans les corpus des motifs. Ces motifs seraient plus parlants que d’autres outils, ou apporteront du moins une aide complémentaire quand il s’agit d’identifier les particularités stylistiques d’un auteur.

Des corpus et des opportunités : champs explorés et chantiers en cours

Le colloque était aussi l’occasion de présenter plusieurs projets auxquels participent nos intervenants. Ainsi Riccardo Barontini nous a fait découvrir le projet DigEco « Écocritique numérique qui interroge un corpus d’environ 1000 romans francophones (de 2001 à nos jours) :   Questionner l’anthropocentrisme dans le roman contemporain d’expression française » pour comprendre l’influence du discours écologique sur la fiction contemporaine. M. Samir Challaoui nous a invité à découvrir les « maghrébisme » en tant que faits linguistiques porteurs d’une culture transcendante et plurielle. Les questions relatives à la collecte des données, à la description des matériaux et à la constitution des lexiques étaient particulièrement soulignées. Pr. Cristelle Cavalla a évoqué les corpus numériques utiles et utilisables dans l’enseignement des langues. Son intervention a permis de montrer comment sont constitués ces corpus  et dans quels contextes ils étaient explorés. 

L’histoire était au rendez-vous grâce à l’exposé mené par Safia Hamdi qui, dans une intervention intitulée « « La ville comme émerveillement, la ville comme embellissement : Paris dans les guides des XVIIème et XVIIIème siècles » a révélé un projet en cours où elle œuvre à  constituer un corpus à partir des collections numérisées des bibliothèques parisiennes autour des guides de Paris « touristiques » ou savants. Son intervention a fait ressortir autant d’interrogations pluridisciplinaires que la mise en place d’un corpus pareil pourrait permettre. 

Deux interventions ont interrogé les réseaux sociaux et plus précisément Facebook. Faten Somaï a mené une réflexion sur les « faits d’humour sur Facebook » en montrant comment l’humour noir produit par les Tunisiens sur les réseaux sociaux en temps de crise suscitaient des interrogations sur les mécanismes de son fonctionnement (en tant que genre). Ameni Tlili a exposé les résultats de l’exploration qu’elle a menée à partir d’un corpus d’analyse formé d’un ensemble de conversations écrites à plusieurs et à distance sur les murs Facebook de 13 enquêtés pendant trois périodes : avant pendant et après la révolution  de janvier 2011.

Dans le même panel Anis Nouairi nous a invité à découvrir le monde des RPG ou Role Playing Game (le jeu de rôle) . Dans une communication intitulée :  « Le retour au livre : le jeu vidéo comme médium littéraire », il s’interroge  sur la capacité qu’a le jeu vidéo à faire découvrir à ses adeptes ou à ses pratiquants des textes littéraires et surtout de comprendre comment s’établit  l’échange entre le corpus littéraire et son adaptation en jeu vidéo.

Mettre la main à la pâte : le ateliers

Nous pouvons considérer comme un motif de fierté la tenue de quatre ateliers en marge du colloque CICNIA. Les formateurs étaient des informaticiens et des linguistes experts dans leurs domaines.

Avec près de 150 participants formés en deux  après-midi, nous ne pouvons que nous jouir du succès qu’a connu ce volet consacré à l’exercice. Les ateliers ont porté sur FRANTEXT, un outil historique de consultation de textes français,( Pr. Jacques François et Mme Rania Samet)  Tropes, un logiciel d’analyse sémantique, syntaxique et discursive des textes littéraires, (M. yacoub Guerissi) et IRaMuTeQ, un logiciel d’analyse statistique des données textuelles (M. Fathi Ghariani). Parallèlement s’est tenu, grâce à l’appui de l’Ecole Doctorale Structures, Systèmes, Modèles et Pratiques, un atelier qui offrait aux chercheurs devant rédiger leurs travaux académiques en français l’accès à des bases de données textuelles et à des outils leur permettant de perfectionner leur rédaction . L’atelier doctoral « Les écrits professionnels en français : l’aide des corpus numériques » animé par Pr. Cristelle Cavalla a ainsi permis à un public diversifié de de travailler avec les doctorants sur des corpus d’aide à la rédaction scientifique comme ScienQuest ou Lexicoscope

Cette diversité des axes  nous parait particulièrement importante et en phase avec l’esprit qui anime notre approche : mettre en réseau et  faire découvrir à nos chercheurs jeunes ou moins jeunes, confirmés ou futurs, des pistes de recherche innovantes ou  des outils qui leur sont inconnus et qui pourraient leur faire gagner du temps ou de la rigueur. Tel était l’objectif de notre colloque et nous espérons y avoir réussi. Au-delà de la qualité incontestable des interventions et des intervenants, les échanges qu’a permis ce colloque ont été l’occasion de de renouer ou de nouer des contacts, d’établir des recoupements entre projets et porteurs de projets, de poser ou reposer des questions méthodologiques et épistémologiques. Il a révélé des corpus en quête d’explorateurs,  des questions dans l’attente de réponses et des problématiques auxquelles de nouveaux outils pourraient apporter de nouveaux traitements.Ce travail ne peut s’arrêter à une rencontre. Celle-ci se prolonge certes grâce au numérique (encore !) sur l’espace de partage dédié au projet https://padlet.com/colloquecorpusnumerique/construire-et-interroger-les-corpus-num-riques-l-re-de-l-int-f0ye70ltth11irnw . Elle se prolonge aussi à travers les recoupements avec les diverses manifestions auxquelles nous participons ou que nous initions comme les prochaines doctorales prévues en juin 2024 à l’Université de Tunis dans le cadre du projet Raqmyat. Elle se prolonge surtout à travers les divers partenariats qui peuvent se nouer entre les  chercheurs qui ont contribué, chacun à sa manière, au succès de cet évènement. Un évènement qui n’auraient pu avoir lieu sans la conviction commune que l’espace universitaire est un lieu d’innovation et de partage.

Latest Portfolio

© 2024 Raqmyat. All Rights Reserved.
Bannière de Consentement aux Cookies par Real Cookie Banner